On peut se passer de tout, vivre sans argent, sans douche, sans chien même ; d’amour et de vin frais ; à la Diogène quoi. Vivre sans livres en revanche, cela tient du plus pur héroïsme.

 

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Hélas c’est le lot des nomades, en particulier des backpackers et autres vagabonds inspirés, qui transportent leurs maison façon tortue : en sac à dos.

Comment résoudre ce dilemme cornélien donc : emporter sa bibliothèque…sans son poids ?

Car si les kilos superflus (de bagages bien sûr) sont la terreur absolue du baroudeur, concilier son amour des bouquins avec un paquetage minimum relève de l’art.

Mais quel bonheur de pouvoir déclamer l’Iliade face aux ruines de Troie, de réciter la Légende des siècles sur les crêtes de l’Himalaya, ou de bouquiner Tolstoï au fond de la Sibérie, en savourant un cigare avec pour seule compagnie le crépitement du feu de bois. Ce sont ces petits instants magiques qui forgent l’âme du voyage en solitaire. Toucher du doigt les grandes pages qui ont inspiré nos rêves d’ailleurs, tout en écrivant notre propre comédie humaine à la force du mollet, en puisant à pleines mains dans l’encrier de l’action et de la réalité.

Outre ces moments quelque peu égoïstes, qui peuvent sembler à certains une belle masturbation littéraire, les bouquins ont une utilité concrète en voyage ; ceux que vous avez lus et assimilés, c’est la bibliothèque mentale, la plus légère au poids mais la plus imposante et importante, celle qui nourrit votre moteur intérieur ; ceux que vous emportez, c’est les petits outils qui permettent de construire un voyage au-delà des simples cartes de géographie.

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Et l’intérêt pratique ne se limite pas à cela, c’est aussi un formidable moyen de partage, de rencontres et d’échanges. De fait, emporter la poésie du pays qu’on traverse c’est s’immiscer dans cette nuée impalpable qui forme l’âme de celui-ci ; c’est plonger dans sa culture profonde, plus qu’en trainant vos sandales dans une arène touristique que vous visiterez aussi bien en 3D sur le web.

S’intéresser au patrimoine culturel du pays passe par l’histoire, par les écrits, même si la langue d’origine vous est inconnue, et d’ailleurs quoi de mieux que d’apprendre une langue en mêlant le « terrain » à la littérature !

Bref, j’arrête ici l’énumération des avantages du livre vagabond pour passer dans le concret.

Voici donc quelques conseils pour optimiser le transport de votre bibliothèque dans un paquetage qui ne dépasse pas 20kg.

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NB : la « liseuse » ou tablette est hors sujet, sauf si vous avez l’intention de dévorer l’intégrale de la SF américaine lors d’un raid en Orient-express ;  toutes mes excuses aux fans de ce support, qui brise par son côté pratique et impersonnel toute la magie du livre à mon sens. Emporter une liseuse en baroud c’est un peu comme emmener sa belle-mère en voyage de noce, ça rompt le charme…

  • Emporter une anthologie de la poésie française (celle de Pompidou est très bien), en y ajoutant votre anthologie personnelle, recopiée pour les plus courageux dans un carnet léger type moleskine. Vous pourrez apprendre, réapprendre et redécouvrir les merveilles de la littérature française et vos jeunes années par la même occasion.

  • Emporter des classiques en langue originale (ou bilingue) cela permet d’optimiser un livre sur le long terme en le retraduisant. Par exemple en emportant Hérodote, Virgile ou les Contes des mille et une nuits dans le texte (mini dico en option pour les moins téméraires) vous faites travailler vos méninges tout en ayant les avantages de la lecture d’un grand texte. Pour les hellénistes et latinistes, favorisez les Budé.

  • Prendre des livres avec marges larges, cela permet d’économiser le papier en dessinant/écrivant vos notes au crayon de bois dessus.

  • Emporter au moins un grand roman (type Pléiades) à se réapproprier. Les Pléiades offrent le double avantage d’être très compacts, donc de permettre d’emporter un pavé (par exemple la littérature russe) en un seul tome, et d’être imprimé sur papier bible, ce qui peut vous dépanner pour rouler des cigarettes dans les pays où le papier à rouler est aussi rare que le PQ.

  • Choisir une biographie inspirante, de préférence en rapport avec votre voyage ou le pays qui vous intéresse.

  • Emporter une grammaire française peut vous permettre de donner des cours n’importe où dans le monde. Il y a toujours un francophone qui traine et sera ravi de discourir sur la langue de Molière ou sera prêt à vous offrir le gite et un accueil chaleureux contre quelques cours de français à ses enfants.

  • Toujours avoir un bouquin « référence », type petit recueil de philosophie, de poésie ou un essai qui vous tienne particulièrement à cœur ; c’est la petite madeleine de Proust qui donnera sa saveur à vos moments de cafard. A lire et à relire.

  • Emporter une pièce de théâtre qui vous inspire, dans la langue du/des pays où vous vagabondez si possible ; on a toujours l’impression d’avoir de la compagnie en bouquinant une pièce, et l’option montage de théâtre improvisé si vous rencontrez des autochtones ou nomades motivés à de quoi faire rêver… jouer Ubu roi en Patagonie a un petit côté mythique !

  • Pour les moments de « sieste intellectuelle », il est pas mal de prévoir un petit polar; ça permet de décontracter les méninges quelques instants et de se retrouver en deux lignes à Paname dans un bon troquet à avaler une andouillette AAA et un bon godet de rouquin en compagnie des Béru ou inspecteur Maigret, quand vous êtes en train de déprimer au fin fond du désert de Gobi avec votre soupe lyophilisée. Double avantage, c’est le bouquin d’échange typique, vous pourrez donc refourguer votre San Antonio au premier voyageur venu, en échange d’un …truc souvent pourri (ne nous mentons pas vous risquez d’hériter du dernier grand prix de la littérature de PMU ou d’un avatar d’Arlequin), mais bon, soyons éclectique saperlipopette!

  • Et le dernier, s’adressant surtout aux voyageurs solitaires s’engageant pour de longs périples à la MacGyver dans le cercle polaire ou la jungle amazonienne: un petit bouquin vaguement érotique peut vous redonner du cœur au ventre quand votre dernier contact humain datera de plusieurs mois et que la seule compagnie que vous aurez sera une poignée d’araignées non épilées ou de bébés phoques avachis. Évitez le porno hard, ça peut vous mener à échafaud dans certaines contrées assez radicales sur ce point (sauf si vous avez le goût du risque, vous pouvez alors faire fortune en revendant vos photos de cul à prix d’or sous le manteau…), mais un petit bout de fesse de Manara vous fera sans doute sourire…ou vous réchauffera dans votre épopée solitaire. Eh oui, tout le monde n’a pas la chance d’Ulysse qui tombe sur une sorcière nymphomane à chaque île déserte!

Bref, sur ces quelques conseils, je vous laisse à vos préparatifs cornéliens en vous souhaitant bon voyage et surtout bonne lecture!!